Face aux défis climatiques, les entreprises font face aux attentes croissantes des différentes parties prenantes. Employés, consommateurs, investisseurs réclament une meilleure transparence quant à l’impact global des activités des entreprises sur la société et l’environnement.
Les entreprises sont encouragées à mener des évaluations approfondies afin d'identifier les problèmes ESG les plus pertinents auxquels elles sont confrontées. Dans ce contexte a émergé le principe de double matérialité : une approche permettant d’évaluer de manière globale la performance des entreprises en termes de durabilité. Les évaluations de matérialité jouent un rôle crucial dans la durabilité et le reporting des entreprises.
Le concept de double matérialité est au cœur de l’élaboration par l’EFRAG des ESRS (standards de reporting durables européens). L’analyse de double matérialité est considérée par l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) comme un point clé de la récente directive CSRD (Corporate Sustainable Reporting Directive) adoptée en novembre dernier. Dans son projet d’acte délégué, la Commission européenne conditionne les thèmes couverts par le reporting CSRD à une analyse de double matérialité. C’est notamment le cas de la thématique “changement climatique” qui est passée d’obligatoire à soumise à une étude de double matérialité. Cette analyse de double matérialité est complexe et constitue un véritable défi pour les entreprises.
Pourquoi et comment faire son analyse de double matérialité ? Quelles sont les différentes visions de la matérialité qui s’opposent à l’échelle internationale ? On fait le tour de la question.
Que recouvre le concept de double matérialité ?
L'analyse de matérialité est un outil de construction de la stratégie RSE des entreprises. Il s’agit d’un processus complet consistant à identifier et à hiérarchiser les problèmes environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) les plus importants pour une entreprise et ses parties prenantes.
Le concept de double matérialité correspond à l’analyse de deux types de matérialité : la matérialité financière et la matérialité d’impact (ou extra-financière).
- La matérialité financière ou matérialité simple correspond à la vision « Outside-In » : cette matérialité ne prend en compte que les impacts positifs (opportunités) et négatifs (risques) générés par l’environnement économique, social et naturel sur le développement, la performance et les résultats de l’entreprise. Cette première dimension concerne donc les aspects financiers : les revenus, les bénéfices, les flux de trésorerie, etc.
- La matérialité d’impact ou matérialité extra-financière socio-environnementale correspond à la vision « Inside-Out ». Cette matérialité prend en compte les impacts négatifs ou positifs de l’entreprise sur son environnement économique, social et naturel et englobe donc les impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
Le concept de double matérialité souligne que les deux dimensions, financière et d’impact, sont interdépendantes et doivent être prises en compte conjointement dans l'évaluation globale de la performance d’une entreprise.
Selon ce concept, les entreprises doivent donc rendre compte à la fois de l'impact de la société et de l’environnement sur la performance financière de leur entreprise mais également de l'impact de leurs activités sur la société et l'environnement.

Double matérialité VS simple matérialité : les désaccords persistent à l’échelle internationale
La matérialité : double ou simple ? Voici la question qui cristallise les débats au niveau international.
La vision anglo-saxonne de l’ISSB (L'International Sustainability Standards Board ou Conseil international des normes de durabilité ) crée en 2021 par l’IFRS (International Financial Reporting Standards) s’oppose à la vision européenne de l’EFRAG quant au type de matérialité à prendre en compte.
L’ISSB : la vision internationale
- L’organisme ISSB affirme qu’opérer une analyse de matérialité simple est suffisant. Ils ont récemment développé un ensemble de standards de reporting à vocation internationale (IFRS S1 et IFRS S2) qui ne prennent pas en compte la mesure des impacts environnementaux de l’entreprise. Retrouvez la liste complète des critères de l’ISSB ici.
- L’ISSB affirme que les normes qu’ils ont élaborées permettraient de lutter contre le greenwashing et d’engager les entreprises et investisseurs dans la transition énergétique. Ils insistent sur le fait que les normes ESRS développées par l’EFRAG seraient trop complexes et inapplicables pour bon nombre d’entreprises n’ayant même pas encore commencé à faire leur bilan carbone, et donc peu pertinentes.
L’EFRAG : la vision européenne
- L’approche de L’EFRAG, mandaté par la Commission européenne pour rédiger les normes ESRS dans le cadre de la CSRD, est plus ambitieuse. L’EFRAG estime que l’analyse de simple matérialité financière est insuffisante et qu’il est nécessaire d’appliquer le concept de double matérialité, c'est-à-dire une matérialité à la fois financière et d’impact. Retrouvez la liste complète des critères de l’EFRAG ici.
- Les spécialistes de la comptabilité environnementale et les défenseurs des normes européennes de l’Efrag réfutent les arguments de l’ISSB et souhaitent mettre en place une approche plus holistique de la performance des entreprises en mesurant leur impact sur l’environnement. Selon l’EFRAG, les normes ISSB qui ne prennent pas en compte les impacts seraient dès lors incomplètes.
Mais au-delà de ces désaccords initiaux, l’objectif réel à travers ces différentes normes est de déterminer si les entreprises ont engagé leur transition écologique.
Pourquoi faire son analyse de double matérialité ?
L’EFRAG et la Commission européenne dans son projet d’acte délégué ont estimé que le concept de double matérialité devait constituer le socle de la CSRD. De nombreuses entreprises se sont d’ores et déjà alignées sur les recommandations de l’EFRAG en matière de double matérialité.
L’analyse de double matérialité présente de nombreux avantages. En combinant les dimensions financières et d’impact, l'analyse de la double matérialité permet aux entreprises :
- D'évaluer leur impact global, d'appréhender l’ensemble des risques et des opportunités et d’être plus transparente quant à leur performance.
- De répondre aux attentes croissantes des parties prenantes : les investisseurs, les consommateurs, les employés etc. Le fait de mener une analyse de double matérialité peut renforcer la confiance des parties prenantes vis-à-vis de l’organisme, offrir un avantage concurrentiel, conférer une bonne réputation de l’entreprise, etc.
- De hiérarchiser efficacement les enjeux et dégager une feuille de route des priorités. Cette analyse leur permet de connaître les changements à mettre en œuvre afin de garantir leur durabilité, d’intégrer les enjeux environnementaux et sociaux dans leur stratégie et leurs actions via notamment la mise en place de politiques et de pratiques responsables.
Comment réaliser son analyse de double matérialité ?
Pour effectuer une analyse de double matérialité efficace et utile, il convient de suivre plusieurs étapes incontournables :
- Identifier et impliquer les parties prenantes. Cela nécessite de dialoguer avec les parties prenantes impactées de près ou de loin par les activités de l’entreprise afin de recueillir des informations permettant de connaître l’impact de ces activités.
- Identifier les indicateurs de durabilité pertinents en lien avec l’entreprise. Cela signifie qu’il faut déterminer quels sujets doivent être pris en compte en fonction de leur pertinence et de leur importance. Les normes ESRS élaborées par l’EFRAG sont les sujets de durabilité qui peuvent être inclus dans son analyse de double matérialité. Par exemple : le changement climatique, la pollution de l’air, de l’eau, la biodiversité, etc.
- Collecter et centraliser les données recueillies. La prise en compte de la gravité de l'impact est un élément clé de l’analyse de double matérialité.
- Créer sa matrice de double matérialité. Pour représenter visuellement les résultats de votre évaluation de double matérialité, vous pouvez utiliser une matrice de matérialité qui permettra de hiérarchiser et de visualiser l'importance des différents sujets.
- Passer à l’action en se servant de l’évaluation de double matérialité pour orienter sa stratégie d’entreprise et ses actions.
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→ Exemple d’analyse de double matérialité pour une entreprise du secteur agro-alimentaire
Prenons l'exemple d'une entreprise du secteur agro-alimentaire qui souhaite réaliser une analyse de double matérialité, et donc évaluer son impact global en prenant en compte à la fois des critères financiers et d’impact (extra-financiers). Concrètement comment se passe cette analyse ? Etudions ensemble les 3 étapes.
- Analyse de la matérialité financière
Pour rappel, l’analyse de la matérialité financière consiste à analyser l’impact de l’environnement sur les finances de l’entreprise.
L'entreprise examine ses revenus, ses coûts de production, ses marges bénéficiaires, ses investissements, etc. Cela lui permet de comprendre sa performance financière globale et d'identifier les risques et les opportunités financières.
L’entreprise analyse quel est l’impact du changement climatique sur ses finances. Par exemple si une sécheresse entraînait une baisse du rendement agricole ou si un incendie brûlait ses récoltes, etc.
- Analyse de la matérialité d’impact (extra-financière)
Pour rappel, l’analyse de la matérialité d’impact consiste à étudier les impacts de l’entreprise sur son environnement et la société. L'entreprise analyse et évalue ses impacts extra-financiers :
→ Environnementaux : l'utilisation des ressources naturelles (eau, terres agricoles), les émissions de gaz à effet de serre, l'utilisation d'engrais et de pesticides, la gestion des déchets, etc.
→ Sociaux : Elle analyse également ses impacts sociaux, en tenant compte de l'approvisionnement responsable auprès des agriculteurs locaux, des conditions de travail des employés, de la sécurité alimentaire, de l'accès à une alimentation saine, de la promotion de pratiques agricoles durables, etc.
→ De gouvernance : transparence, gestion des risques, relations avec les parties prenantes (employés, consommateur etc.)
- Analyse de la double matérialité via la matrice de double matérialité
Une fois que l'entreprise a recueilli ces données, elle peut effectuer une analyse de double matérialité. Cette étape consiste à croiser les informations financières et extra-financières pour avoir une vision plus complète de sa performance globale et de son impact. L'objectif est d'identifier les risques associés aux dimensions financières et extra-financières et les opportunités d'amélioration afin de guider la stratégie de l'entreprise et de la rendre plus durable.
Une entreprise du secteur agro-alimentaire peut évaluer l'impact financier (coûts, économies, prix de vente etc.) de ses initiatives durables si par exemple elle choisit de se tourner vers une production de produits biologiques. Elle peut évaluer les risques financiers liés aux événements climatiques extrêmes, tels que les sécheresses ou les inondations, qui peuvent affecter la production. Elle peut également évaluer les coûts d’adaptation au changement climatique. L'entreprise peut également analyser comment son impact social peut être bénéfique pour sa réputation et son attractivité (par exemple en soutenant les agriculteurs locaux ou en promouvant l'accès à une alimentation saine.)
Cette évaluation de double matérialité peut être représentée visuellement par une matrice de double matérialité.
→ Exemple de matrice de double matérialité pour une entreprise du secteur du luxe

Conclusion
Bien que le concept de double matérialité présente de nombreux avantages, certains blocages persistent :
- Absence de consensus et manque d’harmonisation au niveau international : cela peut poser un souci opérationnel si les standards ne sont pas harmonisés du fait des divergences de vision entre l’approche européenne (EFRAG) et anglo-saxonnes (ISSB).
- Le flou qui entoure le concept de double-matérialité : La norme ESRS 1 de l’EFRAG n’apporte pas de définition claire de l’impact à prendre en compte. Certains standards vont être précisés prochainement. Il y aura un guide méthodologique à disposition des entreprises qui devrait résoudre ce point.
- Complexité du référentiel : L'avènement du concept de double matérialité se heurte à la complexité du référentiel ESRS, c’est ce que reproche l’ISSB.
- La vision européenne de la double matérialité peine à s’imposer à l’échelle internationale. ISSB Dirigé par Emmanuel Faber l’ancien PDG de Danone semble avoir en partie gagné la bataille de la communication pour imposer sa vision de la simple matérialité financière. De nombreux pays comme le Canada, le Japon ont d’ores et déjà indiqué qu'ils se baseraient sur les normes ISSB.
Il semble important que la Commission européenne fasse un gros travail de clarification et d’harmonisation des textes pour garder le cap et embarquer l’ensemble des acteurs dans cette transition écologique. Cette réussite semble conditionnée à une volonté politique forte. Les élections européennes de 2024 peuvent rendre difficile cette tâche. La version finale du projet d’acte délégué de la Commission européenne devrait permettre d’y voir plus clair.
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