Approche monétaire ou physique d'un bilan carbone d'entreprise

Guillaume Colin

Head of Climate Expertise @Sami

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Afin d’évaluer les émissions nécessaires à l’activité d’une entreprise, différentes données d’activité doivent être collectées de manière exhaustive sur l’ensemble de la chaîne de valeur d’une entreprise (amont, production et aval).

Ces données d’activité peuvent avoir différentes unités, et le type d’unité retenu a une incidence sur la façon dont les émissions associées seront évaluées.

Dans le cas où la donnée d’activité est une donnée financière ou comptable, on parle d’approche monétaire; et dans l’ensemble des cas contraires, on parle d’approche physique.

Les deux approches ont pour même objectif d’évaluer les émissions d’une certaine donnée d’activité, mais elles diffèrent dans leur mode opératoire :  l’approche monétaire convertit des € (ou $, £, etc.) en émissions de GES (tCO2eq) à l’aide de facteurs d’émission nommés ratios monétaires (exprimés en kg CO2eq/€), tandis que l’approche physique convertit des données physiques (km, kWh, kg, etc.) en émissions à l’aide de facteurs d’émission physiques (exprimés en kg CO2eq/unité physique).

Exemple de calculs avec les deux approches

L'Association Bilan Carbone (ABC) a très bien rappelé dans cette note les différences entre approches monétaire et physique dans la réalisation du bilan carbone, et l’avantage inégalable de l’approche physique pour permettre le passage à l’action d’une entreprise.

L’objectif de cet article est de préciser les forces et faiblesses de chaque approche, et la manière dont nous utilisons chacune d’entre elle chez Sami.

1. Intérêts de l'approche monétaire

Commençons par un constat : l'approche monétaire est nécessaire pour tout type d'entreprise réalisant son bilan carbone, a minima pour évaluer les émissions de certaines dépenses (de services principalement) réalisées durant la période de reporting et qui ne se prêtent pas à une approche physique.

Cela concerne notamment les achats d'études et prestations intellectuelles, les dépenses publicitaires et de marketing, les honoraires divers, les services bancaires et assurances, etc : toutes ces dépenses et leurs émissions associées sont à intégrer au bilan carbone (dans la catégorie ‘Achats de biens et services’), mais se prêtent mal à une approche physique.

Récupérer de manière systématique les données comptables (par exemple via le Fichier des Écritures Comptables -FEC) permet d'automatiser la collecte de ces dépenses sans perte de précision (voire même avec un gain de précision par rapport à une collecte hors FEC, puisque l’on a accès directement à la donnée primaire), et donc de faire gagner du temps à l'entreprise.

Ces dépenses couvertes par une approche monétaire peuvent représenter une part importante des charges d'une entreprise, notamment celles du secteur tertiaire. Pour des entreprises du secteur secondaire (industriels, entreprises qui vendent des produits, etc.), cela est nettement moins vrai et le poids relatif des dépenses couvertes par l'approche monétaire sera bien plus faible.

Le FEC a plusieurs caractéristiques qui lui confèrent un grand intérêt. Il s'agit d'un fichier

  • standardisé : sa structure est identique d'une organisation à l'autre. Le traitement du FEC peut ainsi être généralisé à l'ensemble des entreprises exerçant une activité en France.

  • robuste : il est déployé de manière obligatoire dans toutes les organisations en France depuis 2014, et ses données sont validées et auditées par des tiers (e.g par des commissaires aux comptes lors de clôtures comptables). Les données figurant dans le FEC sont donc d'une grande fiabilité (en termes de comptabilité carbone, on dirait qu'il s'agit de données d'activité avec une très faible incertitude), et la somme algébrique des débits et crédits des comptes de classe 6 permet d'avoir une vision très précise des dépenses totales réalisées durant l'année de reporting.

  • très riche : le FEC fournit l'ensemble des écritures comptables d'une entreprise enregistrées dans les comptes de classe 1 à 7, et en particulier l’ensemble des charges de l’entreprise enregistrées dans les comptes de classe 6.

  • Les noms et numéros des comptes permettent d'identifier les types de dépenses réalisées par une entreprise. Cela peut être complété par une analyse des champs d'écriture libre (EcritureLib).

En faisant des rapprochements entre comptes 4 et 6, on peut notamment associer un fournisseur à chaque dépense.

Analyser le FEC permet donc d'obtenir l’ensemble des dépenses réalisées par l'entreprise durant l'année de reporting par fournisseur, ce qui procure plusieurs avantages :

  • Si les fournisseurs identifiés ont calculé de manière rigoureuse et publié de manière transparente leurs émissions scopes 1 à 3 (par exemple au CDP ou en ligne sur le site de l'ADEME), alors les dépenses de ce fournisseur peuvent être traduites en émissions de GES de manière précise sur les postes considérés, en se référant à l'intensité carbone (ou ratio monétaire -kgCO2eq/€) propre à ce fournisseur, plutôt qu'en se référant à l'un des ratios monétaires de la base carbone de l'ADEME (dont le nombre est limité à 37, et dont l’incertitude est estimée à 80%).

  • Les émissions couvertes par l'approche monétaire peuvent ainsi être ventilées et visualisées par fournisseur : l'entreprise peut ainsi connaître ses fournisseurs les plus stratégiques en termes d'émissions (hors produits couverts par l'approche physique), ce qui est un prérequis à une démarche d'engagement fournisseurs (notamment prônée par l'initiative SBT).

Notons que l’approche monétaire est aussi adaptée pour le secteur financier : c’est elle qui permet d’évaluer les émissions financées d’un portefeuille d’investissements, par définition exprimées en unité monétaire (e.g X€ investis dans telle entreprise).

Chez Sami, les facteurs d’émissions (ou ratios monétaires) utilisés pour calculer des émissions via l’approche monétaire ne se limitent pas à ceux librement accessibles via la base carbone de l’ADEME.

En effet, nous avons également construit une base de données de tels ratios monétaires exprimés par secteur d’activité suivant la nomenclature NACE (ce qui nous permet de couvrir une plus grande diversité de secteurs que ceux disponibles dans la base carbone) ou par entreprise, dans le cas où celles-ci publient de manière transparente leur chiffre d’affaires et bilan carbone (évalué via une approche … physique).

La conclusion de cette première partie est donc la suivante : l’approche monétaire est un point de passage obligé dans un nombre limité de cas de figure (certaines dépenses spécifiques de services, émissions financées d’un portefeuille d’investissement), et l’analyse systématique des données comptables est efficace à cet égard.

2. Limites de l'approche monétaire … et forces de l’approche physique

Néanmoins, l’approche monétaire est largement insuffisante pour évaluer à elle seule le bilan carbone complet d’une entreprise et en outre est limitante pour pouvoir déterminer une stratégie bas-carbone pertinente.

Il y a déjà une limite intrinsèque : les comptes de classe 6 d’une entreprise ne couvrent par définition que l’amont de la chaîne de valeur de l’entreprise (qui correspond à des dépenses supportées par l’entreprise).

Ainsi, l’ensemble des émissions se trouvant à l’aval de la chaîne de valeur de l’entreprise (fret aval - non supporté par l’entreprise, utilisation des produits vendus, fin de vie, etc.) ne peuvent de fait être captés par l’analyse des données comptables.

En outre, les postes d’émissions de l’amont de la chaîne de valeur gagnent aussi à être évalués par l’approche physique, dès lors que celle-ci est envisageable.

Les émissions liées à la consommation d’énergie d’une entreprise (électricité, gaz naturel, etc.) peuvent par exemple être approximées à l’aide d’un ratio monétaire et sur la base des dépenses d’énergie. Cette pratique n’est en revanche pas recommandée du tout : de tels ratios sont particulièrement incertains car ils sont très sensibles à la volatilité des prix de marché de l’énergie.

Nous invitons ainsi nos clients à nous transmettre différentes données d'activité physiques , par exemple via des questionnaires transmis aux employés (pour évaluer les déplacements domicile-travail, équipements informatiques, etc.) ou différents collecteurs de données développés sur notre application (qui permettent de capter les consommations d’énergie, surfaces immobilisées, déchets, etc.).

De même, l'approche monétaire n'est pas du tout adaptée pour évaluer les émissions de produits (tant en termes d'incertitudes que de recommandations d'actions de réduction pouvant être formulées).

Les émissions sur tout le cycle de vie d’un produit (matières premières, emballages, procédés de fabrication et lieu de ré, ensemble de la logistique, utilisation et fin de vie) ne peuvent raisonnablement être évaluées que sur la base d'une approche physique.

Cette analyse du cycle de vie (ACV) de produits est bien plus complexe en termes calculatoires et méthodologiques. Pour être menée à bien, l’entreprise désireuse d’évaluer les émissions de ses produits doit être équipée d’outils sectoriels et process de collecte adéquats.

La collecte de données sur chaque étape du cycle de vie d’un produit est en effet plus exigeante pour l’entreprise qui réalise son bilan carbone (c’est la contrepartie de l’approche physique), puisque l’entreprise devra a minima transmettre ses fiches produits (compositions, fournisseurs de rang 1, procédés mis en œuvre, etc.) et idéalement s’engager avec ses fournisseurs pour obtenir des données spécifiques à sa chaîne de valeur (et ainsi limiter le recours à des données secondaires majorantes).

Chez Sami, nous avons déjà développé plusieurs outils sectoriels permettant de réaliser une ACV par référence produit, tout en étant alignés avec les référentiels méthodologiques d'évaluation environnementale faisant foi en France (Base Impacts) puis bientôt en Europe (PEF) : nous couvrons par exemple les secteurs textile, cosmétique, mobilier, agroalimentaire, etc.

3. Conclusion et vision de Sami

Les approches monétaire et physique sont donc complémentaires dans la réalisation d’un bilan carbone et ont une importance variable en fonction du secteur d’activité d’une entreprise.

L’approche physique est à systématiquement privilégier, et est même indispensable pour évaluer rigoureusement les émissions de produits et pouvoir abonder une stratégie de décarbonation ambitieuse.

Chez Sami, nous ne les opposons donc pas et tirons le meilleur de chacune d’entre elles, dans la limite de leur périmètre de validité rappelé ci-dessous. 

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